La RA est sortie du Hype Cycle “Emerging Technologies” de Gartner, est-ce une bonne chose ?

Vous vous souvenez peut être qu’en 2015 nous avions décidé d’observer la progression de la réalité augmentée sur le fameux Hype Cycle du cabinet Gartner et de tracer quelques perspectives. En août dernier, l’itération 2019 du cycle est parue et la réalité augmentée n’y a figure plus. Est-ce le signe d’une maturité de la technologie ou celui d’une évolution plus complexe ? 

De 2015 à 2019

Pour reprendre l’étude du Hype Cycle où nous l’avions laissé, nous vous proposons ce nouveau diagramme : 

Comme vous pouvez le constater la progression de la réalité augmentée fut assez faible ces dernières années d’après Gartner. Elle a atteint son plus bas niveau de « désillusion » en 2018, avant de devenir une technologie mature en 2019! Une progression assez déconcertante. Notons toutefois que cette technologie est restée presque 14 ans dans la catégorie des “Emerging Technologies”, ce qui ne doit pas être loin d’un record. C’est d’ailleurs certainement une raison pour que le cabinet la fasse sortir de cette catégorie, où chaque technologie ne devrait passez que quelques années 🙂

Depuis 2015, les évolutions du domaine B2B ont été nombreuses avec une montée en puissance forte de Microsoft dans le domaine du hardware (avec il est vrai Vuzix, Daqri et ODG). Coté logiciels également les choses ont évolué avec, par exemple, l’intégration de plus en plus forte de Vuforia dans les outils de PTC.  Nous avons vu en 2016 et 2017 apparaître des cas de mise en production (comme chez Airbus) qui ont fait basculé la réalité augmentée (en tout cas pour nous) dans la partie du plateau de productivité du Hype Cycle. Nous sommes assez fier de notre prévisionnel de 2015 🙂

Dans le domaine grand public les choses sont un peu plus complexes car les grandes promesses de Google (avec les Google Glass en 2014) ou de Magic Leap (entre 2016 et 2018) n’ont pas été tenues. Remember 2015 🙂

La réalité augmentée reste encore liée aux smartphones. Il y a évidemment des applications très populaires dans l’ameublement, le maquillage, le marketing, etc. Cependant, même avec l’arrivée des outils de Google (ARcore) et d’Apple (ARkit) qui se positionnent en standard de fait et qui permettent de faciliter la création de contenu en RA, il est difficile de parler de raz de marée pour l’utilisation des applications de réalité augmentée. Début 2018, Apple a annoncé un peu plus de 13 millions de téléchargement d’application utilisant ARkit sur son Store, pour un peu plus de 1300 application en mars 2019. Le chiffre n’est pas négligeable mais reste très faible en comparaison de l’ensemble des téléchargements. Plus inquiétant, la progression s’est tassée sur l’année 2018 … Le jeux “Pokémon Go” est une belle réussite mais ne peut pas représenter un secteur. Dans ce domaine donc, nous avons été assez prudent en 2015, mais peut-être pas assez ! 

Un point sur les “problèmes” évoqués en 2015

En 2015, nous avions relevé trois points délicats pour le développement de la RA. Voici une petite mise à jour de nos interrogations de l’époque … et des nouvelles qui apparaissent !

Standard, normes et code propriétaire

Depuis 2015, les choses évoluent doucement … L’ ARML porté par l’ OGC (Open Geospatial Consortium) et par Wikitude semble entré en hibernation. L’IEEE travaille régulièrement sur le sujet mais les résultats sont obscurs pour le grands public ou les professionnels. VESA (Video Electronics Standards Association) et EPRI (Electric Power Research Institute) ont lancé leur propre groupe de travail mais peu d’informations semblent en sortir. La seule initiative qui avance est celle du Khronos Group et de son standard OpenXR. De nombreux industriels ont rejoint le projet, c’est plutôt un bon signe pour une adoption.

Sur les trois pistes d’évolution possibles que nous évoquions en 2015, « La raison du plus fort » est celle qui a (malheureusement) pris le plus de poids. Les “standards de fait” dont nous parlions sont aujourd’hui présents sur le terrain avec ARcore, ARkit et les composants du système Windows Mixed Reality (WMR). On peut également y ajouter l’intégration de Vuforia dans les produits PTC.

Software et Hardware

Les liens entre ces deux éléments du domaine de la réalité augmentée ont évolué plusieurs fois en 5 ans, entre indépendance totale et package complet ! Aujourd’hui une sorte de modèle hybride semble se dessiner : 

  • Un package entre le matériel et les composants de bases des logiciels de création :  Hololens fonctionne par exemple avec le système WMR, inutile de tenter l’installation de l’ARcore (bon, enfin vous faites ce que vous voulez …)
  • Un système de “store” ou d’outils de création tiers (mais autorisés) pour construire des applications de manière plus simple et plus rapide. Ces outils comme Wikitude ou Minsar peuvent être compatibles avec plusieurs hardware.

La montée en puissance de WebXR pourrait modifier ce schéma dans les prochaines années et faire de nouveau pencher la balance vers une indépendance. Nous allons y consacrer quelques articles 🙂

Smartphone et Lunettes

Dans ce domaine également les choses ont beaucoup évolué avec en particulier une forte réduction du nombre de lunettes de RA disponibles. En 2015 nous avions surtout des prototypes, en 2019 il reste majoritairement des appareils en production : Hololens, la gamme de Vuzix, Magic Leap One et les lunettes d’Epson. Quelques outils particuliers peuvent venir compléter le tableau comme les Focals de North, les Spectacles de Snap ou les Frames de Bose mais est-ce vraiment de la réalité augmentée … Nous préparons un catalogue de ce type d’appareils dans les mois qui viennent.

Bref, nous pouvons faire la même constatation qu’en 2015 : Les smartphones, bien que majoritairement utilisés pour les expériences de réalité augmentée, ne sont pas les interfaces les plus naturelles et nous attendons toujours la paire de lunettes idéale pour les remplacer.

Quelques éléments supplémentaires de 2019 ! 

La sécurité des utilisateurs et des systèmes

Ce n’est pas une nouveauté complète car, évidemment, des questions de sécurité se sont posées dès les premières utilisations des applications de réalité augmentée, en particulier dans les entreprises. Cependant, comme nous l’avons vu, la réalité augmentée est arrivée en production dans les entreprises et il a bien fallu la connecter au S.I. “classique”. Les équipes projets ont dû adopter les contraintes de la D.S.I. et de sa composante sécurité.  Il reste encore quelques années avant que les systèmes complets, appareils et logiciels, soient sécurisés de manière standards. 

L’autre versant de la sécurité est celui lié aux données des utilisateurs. De nombreux rapports et études (World Economic Forum ou Accenture par exemple) ont montré que l’utilisation d’applications de réalité augmentée entraînait le partage de données personnelles sensibles. Que ce soit les gestes, l’environnement proche ou des images, toutes ces données peuvent facilement identifier les utilisateurs. A l’heure des deepfakes et de l’utilisation débridée des data par les géants du numériques, pouvons-nous être certain que ces données sont protégées ? Non, absolument pas.  C’est pourtant un élément déterminant de la conquête du marché grand public. 

Le vrai, le faux … et le reste! 

Il ne vous a pas échappé que les reconstructions virtuelles en 3D étaient de plus en plus réalistes. Les dernières présentations des casques de la société Pimax par exemple sont bluffantes ! Bien sûr les interactions sont encore limitées et, en RA en particulier, il reste des problèmes d’occlusions et de reconstruction de lumières. Cependant, le réalisme des expériences immersives progresse régulièrement il va inévitablement devenir difficile de séparer le vrai du faux. D’ailleurs, que sera le faux ? Le monde virtuel sera-t-il considéré comme faux si une part non négligeable de la population le fréquente régulièrement ?

Il existe déjà des mondes à explorer en réalité virtuelle immersive

Les études actuelles autour de l’immersion semble montrer que la RA renforce la capacité de mémorisation et qu’elle peut modifier nos comportements. Nous pouvons construire des souvenirs dans un monde virtuel, comme dans le monde réel. Est-ce que nous n’allons pas préférer une construction 3D réaliste mais construite à notre image plutôt qu’un monde réel dans lequel nous ne trouvons plus notre place ? Matrix, Ready Player One, ou la Haute Réalité de Jean Marc Ligny : à vous de voir ! 

Et la suite ?

La dernière édition du Hype Cycle disponible sur le site du cabinet Gartner

Pouvons nous conclure à une maturité de la réalité augmentée ? C’est encore compliqué de l’affirmer bien que, vous l’avez constaté plus haut, il nous semble être sur le bon chemin. Du point de vue du cabinet Gartner, il est assez logique que la réalité augmentée quitte enfin le cycle des technologies émergente puisque nous avons des cas de mises en production réussis depuis des années maintenant (en particulier dans l’industrie) et que les prévisions à court terme sont des usages massifs (ici pour le retail).

Cependant, les choses deviennent complexes en voyant apparaître d’autres notions comme l’ ARcloud, les senseurs 3D ou même “l’intelligence augmentée” qui ne pourra être efficace qu’en utilisant des interfaces naturelles entre humains et algorithmes. Ces briques technologiques sont donc des parties d’une expérience de réalité augmentée et évoluent à une vitesse qui leur est propre.

Nous sommes dans une phase d’adoption de la réalité augmentée qui rappelle un peu celle du Web vers l’an 2000. Le langage HTML 4 était fraîchement normalisé et les outils commençaient (doucement) à se raccrocher à cette norme. A partir de cette étape de “maturité” les usages de Web se sont développés et des outils de création (des CMS comme WordPress) ont apporté une certaine démocratisation de son utilisation. La réalité augmentée semble aborder cette étape et, ici aussi, les outils de création se multiplient. Est-ce le début de la démocratisation ?

AR consultant & RA'pro president à GMC | Site Web | Plus de publications

Grégory MAUBON est consultant indépendant en réalité augmentée (animateur et conférencier) depuis 2008, où il a créé www.augmented-reality.fr et fondé en 2010 RA'pro (l'association francophone de promotion de la réalité augmentée). Il a aidé de nombreuses entreprises (dans plusieurs domaines) à définir précisément leurs besoins en réalité augmentée et les a accompagnées dans la mise en œuvre.

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