Entretien avec Anaëlle RIGAL sur la place de la réalité augmentée dans le e-commerce

J’ai eu le grand plaisir de travailler en 2015 avec Anaëlle RIGAL sur l’utilisation et l’efficacité de la réalité augmentée dans le e-commerce. Le sujet étant passionnant et très actuel, je vous propose un entretien avec Anaëlle, pour extraire de son travail les principaux enseignements. Pour en savoir, je vous invite à la contacter directement.

Bonjour Anaëlle, avant de rentrer en détail dans ton travail, pourrais-tu te présenter et nous parler de ta formation ?

Anaëlle RIGAL

Anaëlle RIGAL

J’ai réalisé une grande partie de mes études à l’European Communication School de Toulouse où j’ai pu développer mes compétences en stratégie de communication globale. Lors de me mes différentes expériences professionnelles, j’ai pu découvrir un attrait particulier pour le monde du digital. J’ai donc décidé de passer le concours du CELSA dans le but d’intégrer le master 2 professionnel “Communication et Technologie Numérique”.

Ce master 2 m’a permis d’enrichir et d’étoffer mes compétences :

  • La coordination d’une stratégie média : mieux appréhender les enjeux stratégiques de communication de marque et de mettre en place et évaluer des stratégies de communication digitales pour les entreprises. (Audit, benchmark, diagnostic, Définition de stratégie e-marketing, Approche culturelle des technologies numériques et des médias informatisés, Analyse sémiotique, Veille stratégique)
  • L’expertise numérique : avoir des notions solides concernant les principaux langages de développement web, connaître les principes de l’UX et du responsive design, les règles de l’accessibilité, les codes de bonne pratique valorisés par le W3C et par les moteurs de recherche pour un bon référencement. Être en mesure d’encadrer la mise en œuvre, non seulement fonctionnelle mais aussi technique, de projets multimédia.
  • La gestion de projet : gérer un projet dans sa totalité, gérer des compétences, répondre à un appel d’offres…

Une formation complète pour avoir une vision large du monde de la communication !

Quel est le sujet de ton mémoire ? Qu’est-ce qui t’a amené à choisir cette problématique ?

La définition du sujet s’est avérée un peu plus difficile que je le pensais. Après plusieurs semaines de questionnements et quelques tentatives non concluantes, j’ai décidé de me recentrer sur mes pratiques personnelles du web pour définir mon futur sujet.

Modiface Mirror

Modiface Mirror

Parmi elles, il y a la consultation de sites e-commerce. Depuis plusieurs années maintenant, je réalise des achats sur des sites e-commerce et j’ai été confrontée à divers questionnements : ce produit me conviendrait-il ? Est-ce que ce meuble irait bien dans mon salon ? Cette paire de lunettes conviendrait-elle à la forme de mon visage ? Etc. J’ai donc fait face à une des grandes barrières du commerce en ligne : les produits ne sont pas tangibles. Au cours des dernières années, j’ai constaté une évolution de ces sites : perdus par un trop grand nombre de sites e-commerce, les clients cherchent à vivre une expérience différente qui leur permettra de se rapprocher de leur produit, pour le moment « virtuel ».

Ayant découvert la RA grâce à des actions de marketing opérationnel et également avec le site des opticiens d’Atol qui permettait l’essai virtuel de lunettes de vu, j’ai voulu savoir qu’elles étaient les avancées concernant cette technologie sur les sites d’e-commerce.

Je souhaitais donc m’attarder plus particulièrement sur le rôle de la RA au sein d’un site e-commerce et découvrir quel était son impact sur cette plateforme, savoir si cette technologie pouvait avoir un impact sur les internautes lors d’un processus d’achat en ligne si elle pouvait influencer les choix de l’internaute.

Quels sont d’après tes recherches les principaux avantages de l’utilisation de la Réalité Augmentée pour le commerce en ligne ?

L’un des avantages de la réalité augmentée est la capacité de la technologie à offrir une expérience de consommation renouvelée, au regard des demandes formulées par les clients. La réalité augmentée mélange technologie informatique, communication, mais aussi physiologie. Dès lors, correctement déployée, elle donne des possibilités nombreuses et variées aux utilisateurs.

Swivel Selfie by Facecake

Swivel Selfie by Facecake

La facilité offerte par la réalité augmentée en fait un vrai outil pratique, tout autant que son côté projectif, interactif, informatif et expérientiel. Elle va jouer sur les sens et la stimulation du consommateur. Tous ces éléments-là font que c’est un outil merveilleux pour valoriser l’image de marque, valoriser l’expérience utilisateur et donc favoriser la satisfaction client et l’augmentation des ventes. La réalité augmentée est « accessible à tout le monde ». Cependant, il nuance ses propos en indiquant que les digital natives seront bien plus à-même d’utiliser la technologie dans l’avenir qu’une population plus âgée qui est moins familière avec les nouvelles technologies.

L’appropriation des nouvelles technologies par les Digital Natives a bouleversé le paysage médiatique. Les entreprises doivent accélérer les transformations pour répondre aux évolutions des usages des digital natives. Ces derniers attendent donc des marques qu’elles utilisent toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Cette attente est également partagée par un grand nombre de consommateurs, friands de services complémentaires. Le fait de pouvoir choisir d’utiliser ou non ce nouveau service est un autre avantage offert au consommateur. C’est un service additionnel offert aux internautes. Nous pouvons illustrer ce propos de la manière suivante : la personne qui ne veut pas utiliser cette option, elle peut très bien faire sa navigation de manière traditionnelle sans aller chercher cet outil, libre à eux d’adhérer ou pas en fonction de leurs besoins. Contrairement à d’autres technologies (le Beacon par exemple), la réalité augmentée n’est pas du tout intrusive. C’est le client lui-même qui choisit ou non d’obtenir un contenu d’information supplémentaire. Avec la réalité augmentée, l’information supplémentaire n’est jamais imposée au client.

Dans un contexte de vente à distance, les utilisateurs de réalité augmentée ont la possibilité de mieux cerner les fonctionnalités de leur futur achat sans se déplacer. Cette visualisation de bijoux, de lunettes ou de vêtements, par exemple, est un premier test qu’ils peuvent facilement effectuer grâce à la réalité augmentée. Leur choix d’achat sera donc guidé par ces nouveaux paramètres dont ils peuvent disposer. En d’autres termes, la réalité augmentée améliore largement le confort des consommateurs lors de leur sélection de produits.

Un autre élément peut être mis en avant : les liens entre le client et la marque peuvent être renforcés par la réalité augmentée. A travers l’expérience vécue de manière virtuelle, il semble évident que l’engagement du consommateur et la confiance envers la marque peuvent être réellement améliorés. La confiance sera induite par les possibilités de voir son achat final avant même de le posséder. Grâce à cette technologie, l’image de la marque est consolidée et diffusée plus largement.

Aussi, toutes les entreprises peuvent trouver un usage à la réalité augmentée et s’approprier cette technologie de façon à rendre un service au client.

Tu as fait tester des applications utilisant de la RA à plusieurs types de “clients”, est ce que ses avantages sont apparus ?

ModeInmotion10Alors que la réalité augmentée n’est pas connue de tous, elle peut s’avérer toutefois intéressante pour une majorité de personnes interrogées. Tester virtuellement le produit séduit le consommateur. J’ai pu remarquer un engouement lors de l’enquête et des tests utilisateurs. Ces derniers ont montré les deux facettes actuelles de l’utilisation de la réalité augmentée : un côté gadget et une capacité à inciter certains consommateurs à l’achat. Auprès des consommateurs, j’ai donc recueillis des sentiments partagés sur le sujet, entre enthousiasme et méfiance.

Mes différentes démarches, théoriques et pratiques, m’ont permis de mieux comprendre l’intérêt du test de produit en ligne notamment via un dispositif de réalité augmentée. La mission est d’influencer l’utilisateur dans son choix, et donc de le mener à consommer. Les personnes interrogées ont une vision plus mitigée de l’impact de la réalité augmentée sur leur expérience d’achat, surtout lorsque celle-ci n’est pas de grande qualité technique.

Il est clair que la réalité augmentée doit encore faire ses preuves, mais avant tout, elle doit se faire connaître auprès du grand public. Les résultats de cette étude doivent donc se percevoir dans un contexte où la découverte des participants est très forte. L’utilisation de la réalité augmentée se développant d’année en année, il est certain que les avis seront plus tranchés dans le futur. Les professionnels pourront ainsi mieux adapter leurs stratégies en la matière.

As-tu pu observer des limites, des contraintes à l’usage de la réalité augmentée dans ces conditions ?

Ces technologies sont naissantes. Ainsi, le taux de connaissance de la technologie est relativement limité. Pour dépasser ces limites au niveau de la connaissance, les marques doivent impérativement travailler sur le développement des applications et sur la séduction des consommateurs. Il faut se faire connaître pour vraiment atteindre le coeur des foyers.

La réalité augmentée sera toujours plus accessible par une génération qui se balade avec son smartphone et qui a l’habitude de tout faire avec son smartphone. Cette génération a une meilleure connaissance des technologies et, surtout, beaucoup moins d’appréhension au niveau de leur utilisation. Naturellement, ils savent tous comment elle fonctionne. Une autre limite concerne l’adaptabilité et le besoin en réalité augmentée qui est fortement différent en fonction des secteurs. Pour les vêtements et les lunettes, l’intérêt de cette communication virtuelle semble assimilé, mais pour d’autres secteurs, c’est relativement moins certain. Bien que toute entreprise puisse déployer ce service pour répondre aux attentes de ses clients, il est évident qu’il faut tout d’abord plonger dans les problématiques de chacun avant de développer plus amplement cette technologie.

L’aspect le plus important est la manière dont les marques utilisent cette technologie mais certains univers sont beaucoup plus propices à l’emploi généralisé de la réalité augmentée. Certains produits le sont également plus que d’autres. C’est pourquoi, un des éléments indispensables à avoir en tête quand on réfléchit à mettre en place une solution de réalité augmentée, c’est le type de produit sur lequel on veut l’installer. Est-ce qu’on est sur un achat impliquant ou non-impliquant ? Est-ce qu’on est sur un produit qui est positionné jeune ou pas ? Quelle est la cible de clientèle ? Etc.

workshop_scannerLa principale limite rencontrée avec les applications est d’ordre technique. Les possibilités techniques empêchent encore de déployer pleinement certains aspects de la réalité augmentée : l’essayage de montre est tout relatif, de plus, on sait aujourd’hui que la reconnaissance 3D à peu près propre débute seulement. Donc la réalité augmentée sera sans doute un outil absolument génial d’essayage mais pas tout de suite.

Il semble alors évident que la réalité augmentée ne peut être employée que de manière complémentaire à d’autres outils marketing (par exemple : des promotions, retours gratuit du produit, etc.). Ce ne sera jamais la réalité augmentée seule, il faut qu’elle soit intégrée dans une stratégie marketing définie. Il rappelle à quel point le prix est un élément essentiel dans les décisions d’achat. En repensant à toutes les limites et tous
les inconvénients de la réalité augmentée, nous pouvons penser que celle-ci n’a d’intérêt qu’en la considérant comme une brique, importante certes, mais une brique intégrée dans un panel de solutions intégré dans l’application mobile.

Dans la conclusions de ton travail, tu fais plusieurs préconisations pour l’utilisation de la RA dans le e-commerce, pourrais-tu nous les résumer et peut être nous donner celle qui te parait la plus importante ?

Préconisation 1 : Adapter sa stratégie à son activité, sa cible et son positionnement marketing.

D’après moi, cette préconisation est celle qui me paraît la plus importante. La stratégie à mettre en place dépendra du secteur d’activité de l’e-commerçant. Actuellement, certains univers seraient beaucoup plus propices à l’utilisation de la réalité augmentée pour une question de maturité d’usage comme de maturité de la technologie.

dear_immo_v2_02_1Il faudrait définir le positionnement de sa clientèle (premium, moyen de gamme ou bas de gamme ?) et le type d’achat proposé. Si l’achat est « impactant », c’est-à-dire qu’il coûte suffisamment cher pour que les clients s’interrogent longuement avant d’acheter et qu’ils ont un besoin d’être vraiment rassurés. Il faudrait proposer des solutions premium et traiter les aspects qualitatifs. Ceci dans le but que le rendu soit suffisamment beau afin de les pousser à l’achat.

Si l’achat est plutôt « compulsif », pour des produits « consommables » dont le cycle de vie se veut plutôt court, l’e-commerçant pourrait se permettre d’axer son application de réalité augmentée sur l’utilité et non sur la qualité du rendu. Une application de réalité augmentée moins performante pourrait répondre au besoin.

Préconisation 2 : Créer une expérience la plus fluide et intuitive possible.

Pour attirer l’attention des clients, les convaincre et satisfaire leurs exigences, une réflexion tant sur le fond que sur la forme de l’application de réalité augmentée serait nécessaire. Il faudrait d’abord définir le ton par lequel l’e-commerçant souhaiterait capter l’attention de ses clients. Ces derniers ne prêtent attention à une marque seulement si elle leur offre quelque chose : de l’humour, de l’information ou du divertissement. Il faudrait penser aux technologies à développer et à l’expérience utilisateur qui en découlerait.

L’erreur serait de se lancer dans une technologie trop complexe. Elle devrait être facile, simple et devrait bien marcher, sinon cela pourrait être une catastrophe pour la marque.

Préconisation 3 : Accompagner l’utilisateur dans la découverte de cette technologie.

D’après les études réalisées, la réalité augmentée serait une technologie peu connue par le grand public. Il serait donc nécessaire d’orienter convenablement l’utilisateur lors de son expérience de réalité augmentée. La reconnaissance de cette technologie par le grand public étant faible, beaucoup d’éducation sur l’usage serait nécessaire Il serait donc intéressant de créer des supports « pédagogiques » qui permettraient aux utilisateurs novices de prendre facilement en main l’application. Ainsi, ces supports permettraient d’évangéliser la réalité augmentée et montrer aux clients comment fonctionnerait la technologie, comment l’utiliser et ce qu’elle amènerait.

Cette étape serait très importante dans le processus d’achat, elle permettrait à l’utilisateur de prendre confiance et de vivre l’expérience de réalité augmentée proposée par l’e-commerçant avec moins d’appréhension.

Préconisation 4 : Compléter l’offre de réalité augmentée par d’autres facteurs clés impliqués dans le processus d’achat.

Grâce à la RA, les clients peuvent interagir et se projeter avec le produit. Un lien privilégié se crée alors entre la marque/le produit et le client, ce qui pourrait permettre d’accélérer le processus d’achat. D’après les entretiens réalisés, la réalité augmentée serait donc un des éléments qui faciliterait et augmenterait le taux de transformation. Mais cela ne serait jamais qu’un élément parmi d’autres : elle devrait s’imbriquer avec d’autres facteurs clés comme l’offre de prix, qui serait toujours structurante, ou le retour gratuit du produit.

Préconisation 5 : Accompagner le lancement de son application de réalité augmentée par une campagne de communication dédiée.

Une application de réalité augmentée n’est jamais qu’une application comme il en existe beaucoup. Il faudrait donc communiquer sur le fait que cette application de réalité augmentée existe pour développer sa notoriété. La réalité augmentée resterait un outil mis en œuvre dans une stratégie de communication, il faudrait donc toujours avoir une intelligence marketing derrière pour optimiser l’investissement qu’elle pourrait représenter. La réalité augmentée n’est pas auto-suffisante, elle devrait être intégrée dans une stratégie bien définie, il faudrait juste faire en sorte de bien orchestrer le tout.

De manière plus générale, comment vois-tu l’évolution de la RA dans ce secteur pour les année à venir ? Les entreprises vont-elles investir massivement ou cela restera-t-il cantonné à un marché de niche ?

mv_salon_01_1Il est vraisemblable que les progrès technologiques, l’ingéniosité des designers et créateurs peuvent permettre à la réalité augmentée de gagner ses lettres de noblesse. Avec une meilleure ergonomie, plus de fonctionnalités, un meilleur rendu visuel, l’attrait pour la technologie pourrait être grandissant et pousser davantage de consommateurs et de professionnels à l’utiliser. Sans un rendu final de qualité, l’expérience de réalité augmentée est souvent obsolète, voire très désagréable pour l’utilisateur. Il est donc primordial pour les entreprises de bien la penser et la tester avant de la mettre sur le marché. L’externalisation de la conception et de la maintenance de l’application utilisant la réalité augmentée pourrait
alors être une solution intéressante. En effet, une bonne expérience dans le domaine, des équipes compétentes au niveau de la maintenance et capables d’être réactives en fonction des différents problèmes (sécurités, bugs, etc.) sont nécessaires. Une collaboration de qualité est donc essentielle afin de garantir un projet abouti, correspondant aux envies et capacités de la marque.

L’apparition sur le marché de nouveaux outils, proposés au grand public à travers certains objets connectés, pourrait aussi faciliter la démocratisation de la réalité augmentée et la croissance de sa popularité. Il faudrait peu de choses pour insuffler de l’énergie à ce concept, notamment via l’appui de grandes marques qui possèdent la notoriété nécessaire pour créer de l’enthousiasme autour de ce nouvel outil. C’est également dans ce contexte que le marketing a toute son importance. Une bonne publicité, communication, politique d’entreprise et stratégie commerciale peut engendrer plus de visibilité et d’engouement auprès du grand public.

Les investissements demandés par les entreprises pour mettre en place un outil de qualité utilisant la réalité augmentée peut cependant laisser penser que cette technologie restera cantonnée à un marché de niche.

Merci Anaëlle et pour en savoir plus, n’hésitez pas à la contacter directement !

AR consultant & RA'pro president à GMC | Site Web | Plus de publications

Grégory MAUBON est consultant indépendant en réalité augmentée (animateur et conférencier) depuis 2008, où il a créé www.augmented-reality.fr et fondé en 2010 RA'pro (l'association francophone de promotion de la réalité augmentée). Il a aidé de nombreuses entreprises (dans plusieurs domaines) à définir précisément leurs besoins en réalité augmentée et les a accompagnées dans la mise en œuvre.

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