Etude de Capgemini sur l’usage des technologies immersives dans l’industrie

CapGemini vient de publier une étude intéressante sur l’utilisation des technologies immersives, (réalité augmentée et réalité virtuelle) dans les entreprises industrielles. Je vous propose de revenir sur certains chiffres de ce travail pour mieux comprendre en particulier où se situe le marché actuellement et, peut être, envisager plusieurs pistes de développement.

Le context de l’étude et ses limites

L’étude a été menée auprès de 709 entreprises dont 603 ont des usages des technologies immersives en cours d’évaluation. Il nous faut donc garder à l’esprit qu’elle  n’a pas pour vocation de confirmer ou d’infirmer la pénétration de ces technologies dans les industries, mais plutôt de trouver, chez ceux qui les utilisent déjà, pourquoi ça marche (ou pas).

Notons également la répartition géographique des répondants, qui couvrent comme vous pouvez le voir sur la figure ci-dessous une faible partie du monde. Les grands utilisateurs comme le Japon ne sont pas représentés ni des marchés en forte croissance comme l’Inde.

Un dernier point doit être considéré, l’étude ne s’intéresse qu’à de grands groupes industriels avec un CA supérieur à 500 millions de dollars. Cela représente une faible part des entreprises industrielles. En France par exemple, le CA médian pour les établissements de plus de 250 personnes se situe vers 120 millions d’euros (chiffre INSEE 2016).Les programmes en RA ou en RV dont parle cette étude bénéficient donc de conditions particulières et de capacités d’investissement non négligeables.

Les grands enseignements de l’étude

On constate dans l’étude que, toutes technologies confondues, la satisfaction est au rendez-vous puisque plus de 80% des entreprises ont constaté des bénéfices supérieurs à leurs attentes. 75% ont pu chiffrer des “augmentations” (vitesse, réduction d’erreur, rentabilité, etc.) supérieures à 10%. Et ce n’est pas juste un phénomène restreint aux directions « innovation » ou au POC (proof of concept) puisque les entreprises qui constatent le plus de bénéfices sont celles qui ont déployées ces technologies à plus large échelle.

“Boeing has used augmented reality to provide technicians with instructions for airplane wiring schematics in their field of view, allowing them to be hands-free. This reduces wiring production time by 25%, increases productivity by 40%, and eliminates error rates”

Si on rentre dans le détail des usages, on constate que les secteurs les plus impactés par les technologies immersives sont bien connus :

  • La “formation / maintenance / inspection qualité” qui à pour vocation d’assister les opérateurs sur le terrain, de les connecter de manière la plus naturelle possible aux données et de faciliter la traçabilité de leurs actions. La réalité augmentée est très présente dans ces usages
  • La “création / simulation / collaborative / design” qui va permettre de partager facilement des données dans l’objectif de concevoir, de comprendre ou d’optimiser. Ici, la réalité virtuelle est plus présente.

Il est intéressant de noter que l’AR est considérée comme plus prometteuse que la VR par les ⅔ des répondants alors que son utilisation dans l’industrie est plus récente et que le matériel n’est pas encore complètement adapté. Les utilisations “terrain” où la technologie apporte des informations à l’opérateur sont nettement privilégiées (car plus rentable). On notera d’ailleurs que les cas d’usages donnés dans l’étude sont principalement de ce type.

L’étude classe assez efficacement à mon avis les usages en fonction des bénéfices apportés et des difficultés de mise en place (voir l’image ci-dessus pour le manufacturing).

La plupart des cas d’usages RA évoqués par les entreprises se classent dans la catégorie “Need to Do”, donc plutôt complexes à mettre en place mais potentiellement avec un meilleur bénéfice. La catégorie des “Must Do” (faible complexité et fort bénéfice) pourrait nous paraître assez vide mais, comme nous l’avons vu ci-dessus, elle contient peu d’usages de réalité augmentée. Comme ces usages sont les plus intéressants pour les entreprises, mécaniquement cela avantage les “Need to Do” 🙂

Des surprises ?

On ne peut pas vraiment parler de surprises puisque les tendances d’utilisation présentées dans cette étude se mettent en place depuis quelques années maintenant. Il existe aujourd’hui de plus en plus d’illustrations de retours sur investissement, en particulier dans les domaines de la formation/maintenance ou du Control qualité. En 2015 déjà Testia nous présentait son efficacité chez Airbus.

On peut peut-être s’étonner que les deux cas les plus simples à mettre en place et apportant le plus de bénéfices (l’expertise à distance et les manuels d’opérations augmentés) ne soient pas plus présents dans les entreprises interrogées ? Environ un tiers déclare les utiliser dans la cadre de la maintenance. Cela sous entend probablement que, même si des solutions matériels et logiciels existent aujourd’hui, d’autres freins perdurent comme la disponibilité des contenus où l’implémentation en production sans standardisation. D’ailleurs, la majorité des répondants estiment qu’il faudra encore un peu de temps pour que les technologies immersives soient complètement intégrées dans les entreprises.

Temps estimé pour l’intégration des technologies

Autre point un peu curieux, dans les “early achievers” seulement ⅔ pensent que les technologies immersives auront un impact sur les industries dans un futur proche. J’aimerai bien comprendre les raisons qui font penser le contraire au tiers restant !

Parlons des limitations

La dernière partie de l’étude montre comment tirer le meilleur des technologies immersives et liste donc les problèmes actuels qui doivent être résolus.

Un travail de tous et avec tous

Même dans les cas où la réalité augmentée a été utilisée avec succès, il a fallu convaincre en interne et montrer des résultats. Les usages possibles restent très flous pour la plupart des personnes et ce n’est pas quelques vidéos Youtube ou des appellations trop marquetées qui vont éclaircir les choses. L’étude conseille dont une gouvernance centralisée mais la mise en place de “tech evangelists” dans tous les secteurs de l’entreprise et de pilotes au plus près du terrain pour impliquer toutes les parties prenantes.

“A common observation we’ve seen with clients is their general lack of awareness of what AR or VR is, how it can be applied, and what benefts it can yield […] Our research shows that the inability to identify a use case is a challenge for more than 50% of organizations”

Définir le bon usage

L’identification du besoin est primordiale dans la mise en place de la réalité augmentée. En effet, hors des cas parfaitement packagés, la technologie reste jeune et peu standardisée. Il n’est donc pas si simple de l’adapter à tous les cas particuliers et, surtout, cela peut engendrer des coûts qui remettent en cause sa rentabilité. C’est aussi pour cela que le lien avec le terrain et ses vrais problèmes est primordiale.

Le problème des compétences

Les technologies immersives sont en plein développement depuis 5 ans et cela se ressent sur le marché de l’emploi. Les compétences ne sont pas si nombreuses, en particulier celles pouvant couvrir les parties techniques et “usages”, pouvant évoluer avec l’évolution permanente des technologies et connaissant un minimum les usages industriels. Deux phénomènes ont encore accentués la tension depuis 2 ans. Les géants du numérique ont massivement investis le secteur et les SSII (ESN) industrielles plus traditionnelles ont décidé d’intégrer ses solutions.

Si une entreprise industrielle veut faire un pilote, cela ne pose pas de problème. Mais si elle veut aller plus loin et modifier sa manière de concevoir et de produire, cette difficulté à recruter doit être prise en compte très tôt.

Industrialisation = intégration avec l’existant

Le SI industriel existait avant l’arrivée des technologies immersives (parfois il faut le rappeler aux startups) et les solutions doivent donc s’y intégrer, au besoin en le faisant évoluer. C’est en général un chantier important de la DSI qui va impliquer les outils fondamentaux (PLM, ERP, etc.) mais également les stratégies de sécurité, de connectivité, de production de contenus, de formation, etc.

Il est illusoire de vouloir mener un projet de ce type sans la pleine coopération des équipes en place (et il faut donc aussi les convaincre). Comme nous l’avons vu, les SSII se sont emparées récemment de ce challenge d’intégration. Cela peut augurer un fort déploiement de ces technologies dans un avenir proche.

Grands groupes et ETI/PMI

L’étude de Capgemini porte sur les grands groupes mais les limitations que nous avons listées sont aussi valables pour les plus petites entreprises. Peuvent-elles les surmonter ? J’en suis convaincu ! Mais avec une approche qui est en rapport avec leur taille et leurs projets. Il existe plusieurs initiatives de vulgarisation (comme RA’pro of course) et des projets collaboratifs se sont déjà lancés (Métall’Augmentée en Bretagne, initiatives CETIMM ou UIMM). Sur des projets de tailles intermédiaires, il est tout à fait possible d’externaliser complètement le développement et, heureusement, en France les compétences sont nombreuses (notre cartographie).

Une conclusion ?

Cela ne vous surprendra pas mais l’étude est très positive sur les impacts de la réalité augmentée dans l’industrie. Evidemment chez RA’pro nous partageons ce sentiment car nous avons pu mettre en évidence un grand nombre de cas concrets. Cependant, la vitesse d’évolution des technologies et le manque relatif de compétences disponibles restent des freins importants. Quand à la diffusion chez les entreprises plus petites, ETI ou PMI, elle reste encore faible. S’il n’existe pas de formule magique, les actions des différents regroupements professionnels donne ici aussi de l’espoir.

AR consultant & RA'pro president à GMC | Site Web | Plus de publications

Grégory MAUBON est consultant indépendant en réalité augmentée (animateur et conférencier) depuis 2008, où il a créé www.augmented-reality.fr et fondé en 2010 RA'pro (l'association francophone de promotion de la réalité augmentée). Il a aidé de nombreuses entreprises (dans plusieurs domaines) à définir précisément leurs besoins en réalité augmentée et les a accompagnées dans la mise en œuvre.

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