Vous devez savoir (pour ceux qui sont déjà allé voir la page Wikipedia de la réalité virtuelle) que le nom lui-même de « réalité virtuelle » est décrié. En effet, il est issu d’une traduction depuis l’anglais plutôt hasardeuse de « virtual reality ». La notion de « virtual reality » en anglais n’est pas tant celle d’une réalité virtuelle en français que celle d’une quasi-réalité. Et le concept même de réalité virtuelle laisse de côté tout le caractère humain d’une telle expérience comme si la « réalité virtuelle » pouvait exister intrinsèquement. Il faut savoir que c’est bien l’homme qui expérimente une application de réalité virtuelle. Le nom de RV laisse de côté quelque chose : le fait qu’elle ne peut exister en soi, mais bien parce que l’homme est là pour l’expérimenter. Et le rapport avec la RA me diriez-vous ? Il arrive.
La réalité augmentée est, d’après Philippe Fuchs [1] (un des pères de la Réalité virtuelle) ceci :
« La réalité augmentée regroupe l’ensemble des techniques permettant d’associer un monde réel avec un monde virtuel, spécialement en utilisant l’intégration d’Images Réelles (IR) avec des Entités Virtuelles (EV) : images de synthèse, objets virtuels, textes, symboles, schémas, graphiques, etc. D’autres types d’association entre mondes réels et virtuels sont possibles par le son ou par le retour d’effort« .
On y voit deux notions principales : celles d’un monde réel et d’un monde virtuel. Savez vous qu’un film est un considéré comme une représentation d’un monde virtuel ?
« Films are one of the many means of representing virtual worlds : they tell us stories, imagined reality like any other pictorial support ; they create imaginary worlds… » (Costa Anabela, 2010). Ceci fait donc de la télévision (ou du cinéma) une technologie permettant de faire le lien (d’associer) le monde réel (vous, votre salon) et le monde virtuel (le film). Ceci fait donc de la TV une pleine et entière application de réalité augmentée !
Si très souvent, les applications traitant de la RA ne le font que d’un point de vue visuelle (il y a du son dans une TV pourtant non ?), ce n’est pas tant que les autres modalités sont laissées de côté que le fait que les auteurs ne référencent pas les applications multimodales comme étant des applications de RA. Si la RV a depuis longtemps passé le cap de cette limitation modale (haptique, sonore, tactile ou encore kinesthésique), la RA quant à elle y reste encore contrainte. Vous connaissez certainement les différentes applications de réalité augmentée, d’ailleurs votre blog préféré (http://www.augmented-reality.fr) en donne un bon aperçu. Le problème, c’est qu’elles sont souvent limitées à la modalité visuelle. Imaginez que le fait d’écouter son baladeur dans la rue, d’appuyez sur une touche de votre téléphone et de le sentir vibrer ou d’évoluez dans un environnement faiblement éclairé avec une lampe torche (lumière artificielle), sont des situations mettant en œuvre de la réalité augmentée ! Et maintenant je sais que vous me croyez étant donné la démonstration suit la même construction que pour la TV.
La RA est à la mode depuis quelques années alors que c’est une technologie qui a vue le jour il y a plus de quarante ans (Sutherland, 1968). Elle fait partie d’un paradigme encore plus global de Réalité Mixte (Milgram, 1994) qui englobe la Réalité Augmentée et la Virtualité Augmentée. Cependant, nul besoin d’avoir attendu l’avènement de la RA pour connaitre la réalité mixte. En effet, la lumière artificielle, la musique numérique, les moyens de transport, la sphère financière, la valeur-signe des choses (Baudrillard 1968, 1970) … tout ça nous plonge (en tant qu’individu) déjà dans un monde dont la réalité est mixte (d’informations physiques et virtuelles). Petit exemple : lorsque vous voyez un homme avec une belle voiture, cette dernière vous indique aussi la richesse de son propriétaire générant ainsi un sentiment chez vous (jalousie, sentiment d’appartenance au même groupe social,…). Le problème, c’est que le concept général sous-jacent au groupe nominal « Réalité Augmentée » n’existe pas. Philosophiquement et à proprement parlé, la réalité est tout et ne peut donc pas être augmentée (La RA est donc incluse dans la réalité). Ce qui est augmenté (même si le terme est mal choisi, car une augmentation peut être négative) c’est la perception de l’utilisateur qui expérimente un tel système.
En gros, réalité virtuelle, réalité augmentée ou mixte, aucun de ces termes n’a de légitimité. Cela provient certainement de plusieurs évènements. Le premier est l’acceptation de certaines technologies comme telle lorsqu’elles sont véhiculées par la presse pour le grand public. Le deuxième provient certainement du fait qu’une fois nommée et acceptée comme telle par l’opinion, elle change difficilement de nom. Troisièmement, bien que considérées comme des technologies émergentes, leurs noms peuvent être amené à évoluer… Et enfin, le problème principal est le fait que toutes ses technologies sont faites pour et par l’homme mais sont souvent définies trop techniquement (excepté la RV qui, depuis Philippe Fuchs, a été définie par sa finalité et donc en prenant en compte l’individu lui-même qui expérimente l’outil de RV).
En guise de conclusion, vous avez tous eu, étant enfant, un objet fétiche ou un jouet, qui vous permettait de vous évader et d’inventer des « histoires » directement issues de votre imagination. Cet objet associait en fait, le monde physique (votre chambre, l’objet derrière lequel vous pouviez vous cacher, …) et votre imagination (votre monde virtuel). Ca vous dit quelque chose ? Les mondes virtuelles ne sont pas des illusions (admet-on le comme vrai) puisqu’ils ne sont pas le produit de notre seule imagination. De plus, sans imagination, une expérience virtuelle est-elle possible? Cf. les 3i de (Burdea and Coiffet, 1993) : imagination, immersion et interaction. Le problème, en réalité, est double : quel est le rôle de l’imagination en tant que prédisposition de l’individu (certains individus sont plus enclins que d’autres à s’imaginer des situations) ? Et quel est le rôle de l’imagination de l’utilisateur en tant que capacité à réduire les incohérences de l’expérience dans l’environnement virtuel (latence par exemple, mais également le manque de réalisme, etc.) afin de le rendre crédible à ses yeux ?
[1] P. Fuchs et G. Moreau. Le Traité de la Réalité Virtuelle, 2001, 2003, 2006, 2009. Presse de l’Ecole des Mines de Paris, Troisième Edition. Mars 2001.
[2] C. Anabela. VR: The Simulacrum of personal imaginary. In Proceedings of Virtual Reality International Conference (VRIC 2010), pages 197–203, Laval, France, April 7-9 2010. IEEE Computer Society France.
[3] P. Milgram and F. Kishino. A taxonomy of mixed reality visual displays. IEICE Transactions on Informations Systems, E77-D(12):1–15, December 1994.
[4] I. E. Sutherland. A head-mounted three dimensional display. In AFIPS ’68 (Fall, part I): Proceedings of the December 9-11, 1968, fall joint computer conference, part I, pages 757–764, New York, NY, USA, 1968. ACM.
[5] J. Baudrillard. Le Système des Objets. Edition Gallimard, Paris, 1968.
[6] J. Baudrillard. La société de consommation. Edition Gallimard, Paris, 1970.
[7] G. Burdea and P. Coiffet. La Réalité Virtuelle. Hermes Sciences Publications, Decembre 1993.